Je m’appelle et peu importe comment je m’appelle.

Pour mon fils, je suis passée du Kenya ou peut-être des Philippines jusqu’aux Émirats

D’un pays que l’on envie peut-être pour le tourisme mais pas pour le niveau de vie

Pour mon fils, je travaille dans cette usine de vacances.


Pour que mon fils ait un avenir radieux,

Chaque jour,

Je ne vois qu’à peine la lumière.

Pour mon fils, je partage une chambrette ridicule et même mon matelas avec une inconnue

Pour mon fils, j’emprisonne chaque jour mes pieds dans d’escarpés escarpins

Enserre ma taille dans cette étroite jupe,

Mes douces jambes dans des collants qui me râpent la peau chaque soir

Accroche un sourire inamovible

Et tiendrai ce poste aussi longtemps que possible.


Mon fils tu as dû grandir.

Il y a maintenant trois ans que je t’ai enfanté.

Peut-être deux que je ne t’ai pas vu.

Je n’ai pas pris la fuite.

Je ne t’ai pas abandonné à ma mère.

J’aurais aimé t’emmener, te cajoler.

T’élever.

J’ai peur de ne plus savoir à quoi tu ressembles.

À qui tu ressembles.

J’ai peur d’oublier tes traits

J’ai peur que tu m’oublies

Que tu me traites en inconnue

J’ai peur que tu ne me connaisses pas

Que l’on ne reconnecte pas.


Pardonne l’absence de mon sein

Pardonne l’absence de mes mains

Celles de Grand-mère sont calleuses mais elles tiendront les tiennes jusqu’à mon retour.


Je pince mon sourire quand ils se plaignent d’attendre, même un peu tout petit.

Je te l’ai donnée mais j’ai déjà pris tant de retard sur ta vie

Pour toi j’ai pris tous les risques, sans assurance

Je n’ai rien d’une touriste

Et toi tu ne sais même pas que tu m’attends

Ta vie normale est sans moi

Je me sens sans poids si ce n‘est celui des pièces que je vous envoie.


Être l’étrangère l’expatriée l’immigrée

S’occuper de touristes qui ne l’admettront pas mais le sont tout autant

Être loin de mon sang et de ma lignée

Quel étrange sentiment.


Je suis une, je suis seule, je suis nombreuse, je suis des millions

À voler des emplois que vous ne voulez pas de toute façon

À voir nos vies s’envoler au rythme des saisons

Avoir juste envie de rentrer à la maison.


Kev La Raj


Poète passionné, Kev La Raj concourt pour le Grand Slam National le vendredi 14 mai 2021, organisé en ligne par Grand Poetry Slam, organisateur de compétitions de slams d’envergure nationale et internationale.


Le texte Je m’appelle Agnès est extrait de son recueil de textes « Slam-Junk-Contestaction (ou l’outrecuidance de l’hOMME)« . Contact mail ci-dessous si vous souhaitez en acquérir un exemplaire dédicacé.

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