Une heure du mat’, il fait nuit noire. Je crève de peur, je crève la dalle.
Cinq jours sans bouffer, grève de la faim pour des idéaux que mon pays va réprimer dans le sang avec un machiavélisme infernal.
J’y ai cru, les plus pacifistes ont tenté, les communos les ont soi-disant écoutés.
Cette nuit, ils vont passer à l’offensive, les dissidents outrecuidants sont un danger, faut les briser.
Brisés comme ces jeunes étudiants qui ont osé y croire,
Nous quatre restant avons pigé, notre contestation est illusoire.
Grisés par des discours politisés ressassés à de jeunes gens qu’on a souhaité aseptiser,
Ils y ont cru, ils sont venus, ne se sont pas tus. On les a eus.
Deux heures du mat’, il fait nuit noire. Je vis de peur, je crève la dalle.
Brisés voire grisés par le parti qui leur a ouvert les ailes,
Certains y ont déjà laissé la vie, tel un cocon qu’on ensorcelle.
Ce papillon que ce cocon ne sera pas a d’ores et déjà plié les ailes, plissé sa vie, pissé sa race ! Retour à la case originelle.
Il y a cru, n’aura pas crû, sera reclus, sera déchu, pendant des semaines se sera battu pour une cause qui lui semblait si essentielle, ce sera foutu.
Trois heures du mat’, il fait nuit noire. Je vis d’erreurs, je crève la dalle.
L’esprit embrouillé, pourquoi avons-nous cessé de manger ? Par soutien pour le jeûne des jeunes des semaines antérieures ?
Le danger invisible, petit à petit, se hisse vers la capitale. Dans peu de temps hélas, toutes les issues seront fatales.
Dans quelques minutes, l’ultimatum de cette ultime nuit résultera sur une indicible horreur.
Quatre heures du mat’, il fait nuit grise, ce n’est pas le noir de la nuit petit à petit qui s’éclaircit.
Les chars d’assaut ont envahi le cœur urbain, asphyxiant ses artères, gangrénant ses veines, pourrissant l’élite du pays par des soldats de leurs campagnes à peine sortis.
A peine formés, mal informés, ils ont cru avoir affaire à des dissidents ultra-violents, armés jusqu’aux dents, on leur a dit : « Foncez dans le tas, écrasez-les, faites donc la loi ! ».
Tic-tac, tic-tac, tic-tac de l’horloge de la faim qui nous ruine les entrailles comme celles de ma place, sous des chaînes au roulement aussi fatal qu’un FAMAS.
Clic clac, clic clac, cliquetis de ces blindés réduisant à néant les espoirs de la jeunesse de mon pays entier.
Cinq heures du mat’, il fait nuit rouge, je crève mon cœur, ils crèvent la dalle.
Pètent les pavés, sortent de sous terre, provenant de l’enfer, massacrant de pauvres jeunes qui selon eux, incarnaient Lucifer !
Se laissant faire, ils n’ont pas le choix, ils font pas le poids face à l’arsenal de ces soldats, chenilles de mort, balles cinglantes, qui font gicler le sang de la tête de ces vandales !
Les survivants ne comprennent pas, pourquoi cette guerre ? Ils sont à terre !
Ceux qui se relèveront, auront leur esprit à jamais grabataire.
Six heures du mat’. Il fait nuit blanche, couleur de mort.
C’est terminé, y’a pas de revanche. T’y songes ? t’as tort.
Sept heures du mat’, crépuscule de ma vie. Je me nourris, maintenant c’est fini, le jour se lève, la nuit n’est plus. Les étudiants n’ont jamais manifesté dans la rue.
Pékin, place Tian’anmen, 4 juin 1989. Le sol que je foule, regorge d’une foule au sang neuf.
Le parti a réécrit l’Histoire. Il ne s’est rien passé, mon pays est libre.
Les plus jeunes sont laissés dans le brouillard.
Phoennyx – Juillet 2019
2 réponses
👍 c’est un très beau texte, très engagé. Par contre, je pense qu’on n’écrit pas sur la même rythmique. Je reconnais des similitudes de style mais habituée à ma rythmique, je n’ai pas su trouver celle de ce texte. A voir en interprétation du coup 😁
Merci ! il est vrai que j’ai écrit ce texte dans le but de le déclamer, la façon de le déclamer compte aussi dans le message porté.